
Réveillé par la lumière, je somnole avant de réaliser que c’est déjà mardi, jour de la troisième étape. Je suis encore un peu isolé de l’agitation matinale qui commence, car les bouchons sont toujours dans les oreilles. Je parviens à en extraire un, mais celui de l’oreille gauche est récalcitrant : il est coincé car j’ai probablement dû l’enfoncer trop loin. Un des médecins de la tente (il y en a plusieurs dans notre groupe) se dévoue pour me sortir de cette situation, et parvient à l’enlever sans trop de difficultés. Je suis rassuré. A ce moment-là Fred, mon voisin, réalise que si je ne lui répondais pas le matin, c’est que je n’entendais pas ! Il croyait que je lui faisais la tête au réveil…

Il ne faut surtout pas oublier d’aller chercher sa bouteille et faire poinçonner sa carte, dans les horaires prévus. Sous peine de pénalité.
« Bonjour monsieur, contrôle ». Un peu d’agitation et de bruit me tire de mes rêves et me ramène à la réalité. Quoi, même ici il faut montrer sa carte pour la faire poinçonner ? Ah non, c’était simplement pour le billet de train… J’étais en règle, j’ai échappé à la pénalité. Mais le contrôleur ne m’a pas donné d’eau.

Les marocains, « les hommes en bleu », sont toujours à l’heure pour le démontage, aucun répit pour les coureurs fatigués.
Après les préparatifs du jour, rendez-vous sous l’arche du départ. En attendant l’heure fatidique, j’arrive enfin à remettre la main sur la crème solaire. Juste pour le nez et les oreilles, car pour le reste je suis entièrement couvert. Toujours en forme le Patrick (Bauer, directeur et créateur de la course). L’idée du Marathon des Sables lui est venue en 1984, après avoir parcouru le Sahara à pied, en solitaire en autonomie totale sur 350 km, avec un sac à dos de 35 kg contenant eau et nourriture. Il est là, sur le toit de son 4x4, en train d’haranguer les participants au briefing. Et tous les matins, il nous passe sa musique soul-funk, dont personne n’a retrouvé le titre, mais qui est bien sympa. Avant d’enchaîner avec son titre fétiche : « Highway to Hell » du groupe ACDC. C’est comme ça que ce nostalgique des années 80, par ailleurs grand amateur de jazz et d’opéras motive les troupes sur le départ, avant le « lâcher des coureurs ». Il y a quelques semaines, je voulais lui écrire à Patrick, au sujet de ce morceau qui agrémente les départs depuis des années. Non, monsieur Bauer, je n’ai pas envie d’aller en enfer. Non, monsieur Bauer, je ne suis pas « sur l’autoroute pour l’enfer ». Au contraire, moi, je suis sur la route du paradis, au sens propre comme au figuré.
Si la musique est stimulante et punchy, les paroles sont déroutantes, pour ne pas dire plus. Je vais avoir du mal à écouter cette chanson tous les matins. Il y a des textes plus motivants et plus positifs pour avancer.
Je prendrai le départ quand même, pour « vivre des moments magiques,… dans des espaces encore préservés qui nous font prendre conscience de la richesse du monde dans lequel nous vivons » , comme tu l’as écrit, Patrick. Ca ce n’est pas l’enfer. Sans rancune.
Je me consolerai avec le flûtiste que je vais dépasser quelques mètres plus loin. Il court en jouant ! Ce franco-brésilien, hautboïste professionnel, a mis une petite flûte picolo dans son sac, et il la sort régulièrement pour s’encourager et nous encourager. Ce matin, c’est la chanson phare du Titanic, suivie par le traditionnel « Frère Jacques » car je suis à ses côtés et il veut jouer du français… Je le remercie pour sa sollicitude.
Toujours des paysages magnifiques qui s’offrent à nous. Ils se méritent. Les 10 premiers km alternent sable, cailloux, parties plus roulantes, avant une première petite ascension et le passage près des ruines de Ba Hallou. Un peu plus loin, nous allons croiser un troupeau de chèvres, des centaines de chèvres. Juste à côté, 2 voitures médicales du marathon. Et un coureur allongé par terre. Il n’a pas dû s’hydrater assez, car aujourd’hui, journée sans vent, le soleil frappe fort. On doit dépasser les 40°.

Je me surprends à examiner les pistes sur lesquelles nous marchons, ou que nous croisons, et je m’imagine réaliser un périple à vélo dans ces contrées. Ce serait alors une vraie aventure, une vraie rencontre avec le désert. Seul avec la nature. Dormir sous les étoiles. Faire des rencontres inopinées et sincères avec les habitants, pour s’imprégner du quotidien des villages traversés, pour ne pas simplement traverser, visiter, mais sentir le pouls de la vie locale. Car malgré les promesses et les attentes, il est difficile de se retrouver avec soi-même dans ce « marathon ». Le face à face avec le désert n’est que superficiel. Pas le temps de se poser, de vivre un temps de réflexion, d’introspection comme certains l’attendent. Il y a presque toujours quelqu’un à côté de soi, dans la journée, le soir, la nuit, toujours quelque chose à faire, ou alors on est concentré sur la course. J’aurais voulu par exemple profiter plus longtemps du spectacle de la voute étoilée, dans ces zones non polluées par des lumières artificielles. Mais j’étais trop fatigué pour prendre le temps.
"C'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.” Antoine de Saint Exupéry - Le Petit Prince
Restent 2 km de partie sablonneuse qui nous amènent au thé tant espéré de l’arrivée. La souffrance relative de cette étape de 41 km est gommée instantanément par le plaisir d’arriver et d’avoir réussi un nouveau défi.
Les marocains sont toujours là pour nous servir ce thé super chaud, réconfortant. Mais un seul par personne. Si tu en prends deux, c’est une pénalité…
En arrivant au bivouac, je vérifie mes pieds, car j’ai ressenti de légères douleurs. Effectivement, il y a des ampoules naissantes au niveau des ongles. Passage par la clinique, où Khadija prend soin de mes orteils, avec beaucoup de douceur et d’efficacité. Et je ne suis pas le seul. Cette tente ne désemplit pas. Il faut prendre son ticket, et attendre de 1 à 2h, voire plus suivant les jours, avant d’être pris en charge. Mais heureusement qu’ils sont là, les podologues et infirmiers !


Retour à la « maison » ou j’arrive pour la distribution du courrier. Le « facteur » passe tous les jours nous déposer les emails que nos proches nous ont laissés sur le site du MDS. Une prouesse au milieu du désert ! Et un grand réconfort pour tous les sportifs. Quel bonheur de recevoir ces messages d’encouragement des amis, de la famille, après toute une journée d’effort. On réalise que beaucoup de gens pensent à nous, et c’est un soutien extraordinaire. Même le dossard 204 de l’année passée qui m’envoie quelques mots pour m’encourager, dont je me souviendrai tous les jours : « un pas après l’autre, sans oublier l’eau et les pastilles de sel ».
Mon voisin de « chambre » a reçu un email de sa copine, qui lui dit entre autres qu’il vient de recevoir un PV.
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