18 avril - Paris Gare de Lyon - 17H41
Claac. Un bruit sourd et court, et la porte du TGV qui me ramène à la maison se ferme. Avec elle, une page se tourne, clôturant un nouveau chapitre de ma vie et de mes aventures, écrit à la sueur de mon corps dans le désert marocain.
Mais qu’est-ce que je suis allé faire là-bas, dans l’une des courses les plus dures au monde, d’après certains spécialistes ??
Je me fais éjecter très gentiment par une jeune maman et ses 2 filles, car j’occupe leur place. Trop fatigué pour lire le bon numéro de mon siège ?
Je m'installe en attendant le départ, car je n'ai rien emmené pour m'occuper. Mais je vais sûrement dormir, vu les événements de ces derniers jours. Ma tête commence à balloter de droite à gauche, dans une somnolence passive. Dernière étape de ce périple, le TGV me ramène dans la Drôme avec tous mes souvenirs, après ces 10 jours vécus dans un autre monde. Tout tourbillonne encore dans mes pensées : le vent, les étoiles, les nuits sous la tente, les plats lyophilisés - le tout avec du sable omniprésent… Chaque détail me revient à la mémoire. Et si on se repassait le film complet de ces 7 jours de courses ? Jour par jour ?
Assis sur mon siège, les yeux fermés, c'est ce que je décide de revivre. Vous voulez m'accompagner dans cette aventure ? Pas besoin de votre casquette, mettez simplement vos lunettes de soleil. Suivez-moi dans mes rêves.
Cette aventure, je l'avais notée depuis quelques années dans ma liste des rêves à vivre. Mais sans grande motivation. D’ailleurs quand j’en avais entendu parler la première fois, je m’étais demandé comment on pouvait courir dans le sable avec un sac à dos ? Impensable et impossible pour moi ! Et voilà que le 30 novembre 2014, une conviction m’envahit : je ferai le Marathon des Sables en 2016, et le GR20 en 2015 en guise de préparation.
Rien ne me prédestinait à m’engager dans de tels défis. J’étais proche de nul en sport au lycée, même si c’est un international de rugby (à Agen) qui nous enseignait. C’est à 50 ans, en 2004, que j’ai participé à la première compétition de ma vie : le Country Music Marathon de Nashville. Simplement pour savoir quel était mon niveau, avant d’être trop vieux. C’était le lieu idéal pour m’initier, car il alliait mon univers professionnel, la gospel music, et mon loisir préféré, la course à pied. Je n’imaginais pas par quels chemins, sur le terrain comme dans ma tête, cette décision allait me mener.
Approche
Vendredi 8 avril - 3h du matin. Deux réveils sonnent pour me tirer de mon sommeil profond. Ce n’est pas le jour pour une panne d’oreiller. Direction Orly (merci Doris), trop tard pour reculer. Je retrouve là une bande de fous décidés à en découdre, pour embarquer vers notre destinée. Je croise le doyen de l’aventure, Joseph Le Louarn, 7 éditions à son actif. Dossard 84 et 84 ans ! Respect, Monsieur Joseph : j’espère que j’en ferai autant à ton âge.
Déjà mon voisin d'avion me dit que pour lui cette aventure était une introspection, plus qu'une course dans le désert, quand il y a participé 25 ans auparavant. Il revient presque en pèlerinage, pour renouveler cette expérience, en arrivant directement de Bangkok.
Atterrissage à Ouarzazate, où un accueil de rockstar attend chaque participant : les bénévoles nous font une haie d’honneur et le directeur de course salue chacun. Il manque juste le tapis rouge… Et nous voilà partis pour presque 7 h de voyage en bus, avec les arrêts, afin de rejoindre notre lieu de villégiature : au pied des dunes de Merzouga.

Je me retrouve donc avec ma valise et mon sac à dos dans le désert marocain ce vendredi soir, dans un environnement peut-être hostile pour nous européens, mais majestueux. Nous descendons des bus, et chacun se dirige vers la tente qui lui a été assignée, ou qu’il a pu choisir : en l’occurrence, la 63 pour moi. Ce sera notre maison pour les 8 jours à venir. Drôle de maison. Une simple toile ouverte sur 2 cotés, soutenue par des branches de bois, avec un tapis de laine pour recouvrir le sol caillouteux. La tente berbère, sous laquelle nous sommes 8.
Mais que viennent faire tous les participants dans ce désert ? Fuir leur quotidien ? Découvrir le désert ? Dépasser leurs limites ? Réaliser une performance ? 1200 compétiteurs et autant d'histoires de vies différentes. Chacun est venu avec ses motivations. Comme ce père espagnol, qui a participé seul il y a 2 ans. Entre temps, son fils de 17 ans a été atteint par un cancer, et on lui donne un an à vivre. Il est venu avec lui cette année afin de participer à cette folle course et lui offrir un moment d’exception. Pour vivre une complicité intime dans la nature. Ou ce couple japonais venu vivre ici leur lune de miel. « Nous voulions faire quelque chose d’exceptionnel, nous souhaitions une lune de miel dure… ça fait rire beaucoup de monde ici ! » S’ils résistent, ils partiront certainement dans la vie sur de bonnes bases.

Pour ma part, c'est un défi personnel, physique, mais aussi un défi solidaire. J’ai envie que cela puisse être utile pour les autres, envie d'interpeler sur les conditions de vie dans le Sahel, envie de me battre contre le désert pour mon plaisir et pour faire connaitre ceux qui se battent contre le désert pour leur survie.
Nous sommes tout de suite conseillés par l’habitué de la tente, et nous bénéficions de sa riche expérience forte de 4 participations. Mais le doyen c’est moi. Chacun trouve sa place et nous installons nos petites affaires, après avoir suivi les conseils : bien nettoyer le sol sous le tapis pour éviter de sentir les cailloux quand on dort. Surtout pour ceux qui dorment sans matelas. Découverte les uns des autres, apprentissage de la vie sur le bivouac. Pour le moment c'est encore le grand luxe : l'organisation nous fournira des repas chauds jusqu’à samedi soir. Il faut en profiter. C'est ce que nous ne tardons pas à faire. Et la grande nouveauté, c’est que cette année ces repas sont confectionnés par des marocains. Pas d'attente, la qualité et la quantité sont au rendez-vous. Voilà un autre genre de défi relevé au milieu du désert : cuisiner pour 2000 personnes !
Confusion autour du décalage horaire : moins une heure, moins deux heures ? Finalement nous apprenons que nous sommes à l'heure universelle, et non à l'heure marocaine.


Première nuit sous les étoiles. Premières sensations de froid au petit matin. Il faut vraiment se couvrir pour ne pas se refroidir. Nous sommes quand même à 800 m d’altitude. C'est le test pour décider ce que nous allons garder ou non dans notre sac à dos. Pour chacun, c'est un dilemme : comment optimiser le poids du sac ? Tout dépend si l'on privilégie la performance ou le confort. Choix difficile mais bien personnel. Je décide de ne pas prendre les vêtements plus chauds que j'avais emmenés, même si c'est le froid que je crains le plus. Cela s'avèrera la bonne option, car les nuits de la semaine seront moins fraîches.
Examen de passage
Samedi, journée de contrôle, de découverte, d'acclimatation. La chaleur monte vite, la tension aussi. Mais tout ne se passe pas comme prévu.
La veille j'avais senti qu'une de mes dents n'était pas dans sa position normale. Et le soir, elle était tombée…
Donc direction le dentiste, pour une consultation en plein désert ! D'ailleurs, il le connait, lui, le désert : 4 participations dans l'équipe médicale et 12 en tant que coureur. Très sympa, il recolle rapidement la dent récalcitrante afin de m'empêcher de la perdre à nouveau. Et là une fille de l'équipe m'interpelle, car elle a vu mon tee-shirt SEL, pour le projet solidaire que je soutiens. En fait son frère à travaillé pour cet organisme, et hier il lui a envoyé le lien vers mon dernier message vidéo, enregistré justement la veille dans les bureaux du SEL à Paris. Quelle coïncidence en plein désert ! C'est ça la magie des rencontres, au moment ou on s'y attend le moins. Un clin d'oeil du ciel.


Après le repas direction le contrôle, non sans avoir une énième fois vérifié le contenu de mon sac et pointé la liste du matériel obligatoire. Tout est ok, on ne m'a même pas pesé le sac…
Je suis soulagé au sens propre comme au figuré d'avoir laissé la valise de mon ancienne vie au contrôle, et de ne garder que le sac à dos rempli des affaires indispensables pour cette nouvelle séquence de vie d’une semaine, si particulière. Rien que l'essentiel, pas de superflu. Même plus de portable.
Mais j'entends des cris d'enfants… J'entrouvre les yeux et j'assiste à un spectacle qui me ramène quelques années en arrière. "On arrive bientôt maman ? On peut manger ? Non, ce n'est pas encore l'heure…" Les deux petites filles malicieuses assises sur la banquette d’à côté s'impatientent : ce voyage en train leur parait bien long. Me voilà reparti dans mes rêves après cette petite parenthèse.
Après le briefing général, rencontre avec d’autres participants, comme ce canadien qui arrive directement de Vancouver, via Toronto et Paris (c’est sa 3e participation). C’est l'heure d’aller se coucher. Est-ce que je vais vraiment dormir ? Moi qui ne vais au lit que rarement avant minuit, ici c'est rideau baissé à 20h30. Je serai d’ailleurs toujours le dernier dans le sac de couchage.
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