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Le jour le plus long

Mercredi. L’étape de vérité, appelé « la longue » dans le jargon du MDS. Le départ a lieu un peu plus tôt que d’habitude car le parcours qui nous attend fait 84 km et 1700 m de dénivelé. Un vrai défi dans le défi. On sait quand on part, on ne sait pas quand on arrive. Mais il faut franchir la ligne en 35h maximum, sinon c’est l’élimination. Ce serait dommage, arrivé à ce stade de la course.

Nous sommes divisés en 2 groupes : les 50 premiers du classement général, qui vont partir 3 heures après nous, et le reste qui part à 8h30. On aura enfin le privilège de les voir courir, ces champions. Et nous en avons un dans notre tente : Thierry. Il est dans les 30e.

Je cours non stop du départ jusqu’au CP1. Le terrain est assez roulant, ça tombe bien. Ou alors c’est moi qui m’habitue au sable ? Je fais un bout de route avec Hugues qui vient d’Yverdon (Suisse), et qui court pour une association de lutte contre la sclérose en plaque, dont sa soeur est atteinte. « Combattre une maladie par l’effort, puisque les personnes atteintes font des efforts dans leur vie contre cette maladie. Un lien parfait avec le sport ». On va se croiser plusieurs fois les jours suivants.

Après le CP1, dans la première grande montée, sur le djebel El Otfal, c’est l’embouteillage dans le désert ! On se croirait sur le périphérique. Le passage est étroit, il y a des cordes pour s’agripper, il faut attendre son tour. Certains commencent à s’énerver, d’autres à contourner. Avec un peu de patience, tout le monde arrive en haut de ce point de vue exceptionnel, après un final à 30% de pente. On aimerait y rester, savourer ces instants, s’imprégner de cette ambiance. Je prends conscience du privilège d’être ici dans un décor féérique mais bien réel, dont beaucoup aimeraient profiter. Mais on a aussi envie d’avancer, il reste encore 70 km… Alors pas le temps de flâner. Même si je ne suis pas là pour « faire une performance », j’ai pourtant la motivation de ne pas arriver dans les derniers. Et puis cela voudrait dire pas de journée de repos demain ! Non, j’ai du linge à laver et une douche à prendre.

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© Anthony


Après la descente dans les rochers, arrivée sur une longue plaine ou nous nous faisons doubler par les premiers, partis 3 h plus tôt. Imaginez leur vitesse de croisière… Impressionnant. 

Une maison se trouve là, en plein milieu de nulle part. Mais que font-ils ici ? Il y a quand même une parabole sur le côté.

Quelques kilomètres plus loin, nous nous faisons doubler par les premières concurrentes féminines, au niveau de l’oasis de Mharech où se trouve une auberge. On rêverait d’aller s’installer tranquillement à l’ombre des palmiers, pour siroter une boisson bien fraîche. Mais cela ne restera qu’un souhait irréalisable. L’oasis elle est bien réelle.

A cet instant j’entends une musique qui m’interpelle. Revoilà le flûtiste brésilien, en train de jouer en marchant sous un soleil de plomb. Merci Pierre, et bravo !

Nous abordons un immense lac asséché que nous allons traverser avant de passer de nouvelles dunes en face. C’est à ce moment-là que Thierry, notre champion de la tente 63 arrive et nous double, malgré sa condition physique difficile depuis ce matin.

Arrivé au CP3, distribution des deux bouteilles d’eau prévues. Chaque bouteille et chaque bouchon est marqué à notre numéro de dossard. Et si jamais l’un ou l’autre est retrouvé dans le désert, c’est une pénalité. Bonne initiative. Il faut bien la gérer cette eau, sous peine de voir ses capacités diminuer.

Je m’arrête quelques minutes, mange un peu, remplis mes gourdes et m’asperge d’eau. 

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Un CheckPoint vu du ciel  © MDS

Le soleil commence à baisser, la chaleur à tomber, et la lumière à devenir magnifique. L’instant jubilatoire pour les photographes, dans une explosion de couleurs. Tout au long du chemin, on voit régulièrement des scarabées sur le sable. Normalement, ils se cachent en dessous de la surface pour s’abriter de la chaleur. Mais les troupeaux de coureurs qui passent doivent faire trembler leur territoire en martelant le sol, et en troublant la quiétude séculaire de cette partie du monde. Cela doit représenter un tremblement de terre pour eux. J’espère qu’ils ne seront pas traumatisés par notre passage, même s’ils partent dans tous les sens à notre approche. Malheureusement certains en font les frais, oublient de regarder avant de traverser, et se font écraser par les plus rapides. On retrouve ça et là quelques cadavres, anéantis par Adidas ou Salomon…

J’essaie de regarder où je mets les pieds pour ne pas devenir meurtrier.

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Longue route entre le CP3 et le CP4. Très longue. Je ne le vois pas arriver, ce CP. Ils l’ont déplacé ? 

Finalement, avec le soleil couchant, j’atteins ce CheckPoint, avec l’accueil toujours enthousiaste des bénévoles (bravo Marc !). Préparation pour la suite qui se fera de nuit : lampe frontale, boisson, bâton de lumière derrière le sac. Je mange les pâtes à la sauce tomate qui se réhydratent à froid depuis plusieurs heures dans mon sac. Un peu trop épicées dans ce contexte. Elles me resteront sur l’estomac pendant un moment, mais sans plus de complications.

Je ne sais pas si c’est le manque de lumière qui me trouble, mais toujours est-il que je commence à fatiguer un peu. Dans ces moments difficiles, je sais comment me motiver. Je pense à tous les amis de la Ferme de Guié, le projet solidaire au Burkina Faso que je soutiens par mon action. Chaque pas, chaque foulée est pour eux. J’espère que la collecte de fonds sera à la hauteur de mes efforts dans cette course. Je me rappelle mon séjour là-bas au mois de février, et cette fameuse journée avec Joseph, où nous avons marché 45 km par 45°. Une bonne préparation. 

La route a été aussi longue entre le CP4 et le CP5. Surtout que l’on voit au loin, du haut du djebel grimpé dans la nuit, toute une colonne de points lumineux, avançant comme des petites fourmis luisantes. Et au bout, une grande lumière, probablement le CP5. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est trompeur. Il me faudra plus de 2 heures pour arriver à ce CheckPoint, dans un terrain quasi sablonneux tout le long. Vous avez essayé de marcher ou courir la nuit pendant des heures dans le sable ? Sur la route vers notre paradis terrestre, car notre destination finale à Ouarzazate sera bien un paradis, nous croisons un symbole de l’enfer : un serpent. Mais pas la peine de sortir la pompe aspivenin obligatoire. Il est de petite taille, effarouché, et se démène pour s’écarter du chemin. 

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J’arrive enfin au CP5, où c’est une oasis de bonheur : thé chaud, chaises longues, musique, tente, distribution d’eau. Il manque juste les danseuses, mais elles se sont transformées en infirmières. Tout est fait pour nous retenir et nous inciter à rester. Quelle tentation ! Trouver un tel endroit, en plein désert et en pleine nuit, c’est inespéré. Je me pose sur une chaise longue, le temps de manger le dessert que j’avais prévu : un yaourt (lyophilisé). Je n’avais pas encore testé, contrairement à tous les autres plats, mais ce n’est pas mauvais. Juste un peu trop sucré, sans la texture du yaourt.

Je décide quand même de m’allonger quelques minutes sous une tente, à même le sol, dans la nuit du désert marocain qui finalement n’est pas très fraiche cette année. Bercé par une musique discrète pour permettre à chacun de s’isoler.  Au bout de 10 minutes je me relève pour repartir et découvrir la suite du programme « Montée abrupte d’un petit relief jusqu’au sommet sablonneux / Descente même direction / Traversée d’une vallée sablonneuse » dixit le roadbook. Encore du sable ? Mais comme l’a écrit Guy « si vous en avez marre, dites-vous que les Hébreux ont eu une longue de 40 ans ! Et qu’ils l’ont finie ! »

La nuit est claire, et on pourrait presque se passer de lampe grâce à la lune. Mais je ne veux pas risquer de chuter sur une pierre. Et de toute façon, c’est une pénalité si on n’a pas sa lampe allumée. J’essaie de courir un peu de temps en temps, car le temps est long entre deux CP, si on ne fait que marcher.

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Passage rapide au CP7. Les bénévoles nous disent avec justesse que c’est la fin. Qu’il ne reste que 10 km, et que l’on voit l’arrivée de là où nous sommes. Effectivement, on distingue au loin 2 points lumineux signalant le bivouac tant espéré et désiré. Mais il ne faut pas se fier à ces impressions de proximité. Plus de 2 heures seront nécessaires pour rallier cette ligne d’arrivée. Il reste à parcourir une section droite interminable. Vraiment interminable. La lumière du jour commence à apparaitre, et j’aurais voulu terminer dans le soleil levant. Mais je ne vais pas retarder mon arrivée pour cela. 

Enfin, après 21 heures et 14 minutes d’efforts, je franchis la ligne d’arrivée de « la longue », heureux, fatigué, et content d’être là. Une victoire de plus. Une étape de moins. Satisfaction d’être allé jusqu’au bout de la nuit.

Je récupère mes 3 bouteilles d’eau. Mais ceux qui arriveront plus tard dans la journée vont devoir se charger d’un pack de 6 bouteilles (distribution du matin en plus). Si leur tente est la plus éloignée, cela va être pénible de la rejoindre, lestés de presque 10 kg supplémentaires.

Je rejoins rapidement ma tente où tout le monde est déjà allongé et endormi. Après m’être alimenté, je cède moi aussi à ce sommeil réparateur, dans la lumière aveuglante du soleil qui se lève. 2 heures plus tard, je suis déjà réveillé, et en bonne forme. La journée risque peut-être d’être longue… 

Jour de repos, les jambes et les pieds en ont bien besoin. Contrôle à la clinique pour traiter les nouvelles - petites - ampoules. Il y en a aux deux pieds, mais elles ne me gênent pas pour avancer et ne sont pas sensibles. Peut-être aussi parce que je suis endurant à la douleur, parait-il. Malgré une préparation de mes pieds depuis 3 mois, et aucune ampoule depuis des années, là je n’y échappe pas. C’est le lot de la quasi totalité des participants. Peut-être pour moi en raison de chaussures trop grandes, choisies avec 2 pointures de plus sur les conseils des habitués. C’était probablement une erreur.

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