Carte du parcours effectué du 26 juillet au 6 août (415 km) : Marche de l’Exil 2018
Souvenirs en photos
Privilégié.
De la musique classique s’échappe de la porte-fenêtre entrouverte sur
la terrasse. Je ne vois personne. J’appelle. Toujours personne. Tout
d’un coup, une silhouette un peu voutée apparait en contre-jour dans
l’embrasure de la porte au fond de la pièce. Après l’effet de surprise
et la méfiance à la vision de cet intrus devant elle, la petite dame
menue qui s’avance devient plutôt bienveillante. C’était quelque part
dans la Drôme, le 4 aout. J’étais un peu juste au niveau de l’eau, alors
quand j’ai vu cette maison dans ce coin perdu, au détour d’un virage
d’un fond de vallon, je me suis arrêté pour quémander du précieux
liquide.
J’y accède difficilement par un chemin sous la terrasse,
encombré d’un bazar indescriptible. La petite dame ne me regarde pas, sa
tête est penchée en permanence. Elle part remplir la gourde et quand
elle revient elle me propose un café. Je ne bois pas de café. Elle n’a
rien d’autre de prêt. Elle fait allusion à ses problèmes de santé, qui
provoquent sa posture.
– Et depuis combien de temps habitez-vous dans cet endroit ?
– 20 ans, me répond-elle avec un sourire non dissimulé.
– Vous êtes tranquille au moins ici ! (il n’y a aucune autre maison à la ronde)
– Oui, mais je ne suis pas assez isolée…
Je lui explique brièvement mon aventure et lui tends une carte avec
l’adresse de mon site. Elle éclate de rire et d’un air fier et
revendicatif elle me lance :
– Je n’ai pas internet !
Un choix de vie. À chacun son rêve.
Le mien, c’était de terminer cette année le sentier des Huguenots, marcher sur la trace de ceux qui ont quitté la France pour les pays du refuge1. Après avoir parcouru l’itinéraire principal l’année passée (1800 km de Poet-Laval à Bad Karlshafen), je tenais à boucler cette aventure par ce tracé créé récemment « Sur les Pas des Huguenots depuis les Cévennes » qui rejoint le sentier principal à Die. Je suis donc parti le 25 juillet dernier de Mialet (du Musée du Désert au Mas Soubeyran). J’ai pris un grand plaisir à marcher le long de cet itinéraire magnifique au milieu de paysages somptueux. C’est peut-être le plus beau de tous ceux que j’ai parcourus durant ces aventures huguenotes. J’ai beaucoup aimé l’ambiance des Cévennes, rude, sauvage, ces hameaux isolés et leurs mystères, la solitude, pas de grande agglomération à traverser. Les bivouacs dans les montagnes resteront marqués dans ma mémoire. Des vues splendides, loin de tout, dans le silence de la nature, parfois troublé par l’impétuosité des orages au loin et les bruits stridents, discrets ou mélodieux des animaux. Comme cette nuit où je suis réveillé par un remue-ménage dans le coin de forêt ou je m’étais installé. Probablement un sanglier qui cherche sa pitance ; il a même tourné autour de ma tente. Une nuit difficile, d’autant plus que le sol était légèrement en pente et parsemé de bosses. Je me suis parfois désaltéré avec l’eau des ruisseaux, fraiche et limpide. Marcher sur ces sentiers m’a donné l’occasion de redécouvrir ces pages de la période des Camisards, tranches d’histoires méconnues du grand public. En effet, peu de personnes connaissaient les huguenots parmi celles que j’ai rencontrées. Se retrouver par exemple au lieu dit des Trois Fayards2, c’est voir défiler devant soi tout un pan de l’épopée huguenote qui a changé le cours de l’histoire de la France. 2 000 camisards sans expérience vont tenir tête à 20 000 soldats du roi entrainés et équipés. Et en 1703 Louis XIV décide d’éradiquer les bastions huguenots des Cévennes, une menace à ses yeux. Il va faire détruire 474 mas et hameaux dans cette région.
Quelques images ancrent cette marche dans ma mémoire.
Par exemple, cet habitant du délicieux petit hameau isolé de Nojaret,
ancien artisan, qui part mettre à l’abri de la chaleur son âne Pompon
âgé de 27 ans. Il l’a récupéré il y a quelques années alors que ce
baudet allait mourir et il s’en occupe affectueusement. Il peste
gentiment contre les touristes qui ne respectent pas leur manière de
vivre. Mais il est ravi de bientôt profiter de sa — petite - retraite,
dans deux mois, après une vie bien remplie aussi remplie qu’usante de
par son métier. Une existence en toute simplicité.
Une autre, c’est
la redécouverte de la « civilisation » dans la descente sur
Alba-la-Romaine. Au sortir de la forêt, on aperçoit dans la vallée une
densité de constructions bien ordonnées que j’avais oubliée et au loin
le bruit de fond continu de la circulation provenant de la route, qui ne
m’a pas manqué depuis plusieurs jours...
Ou alors cet homme qui
m’interpelle sur le bord du chemin devant chez lui et qui m’invite à
boire quelque chose. Cela se termine quelques minutes plus tard par une
invitation à rester manger et dormir. Ce n’était pas de refus. Première
vraie douche depuis une semaine et première nuit sous un toit en dur.
J’ai parcouru 415 kilomètres en 12 jours, soit environ 35 kilomètres
par jour : le parcours officiel (350 km) s’est sensiblement rallongé,
car je suis parti de Bagard (du Centre Béthanie à côté d’Anduze - merci à
Annick et Pierre pour l’accueil et la soirée grillades) et je me suis
égaré à plusieurs reprises pour différentes raisons (balisage aléatoire
ou absent, vandalisme sur les supports de signalisation, erreur
d’interprétation, indications inappropriées données par des personnes,
sentiers modifiés ou inexistants).
Mon voyage a aussi été ponctué
par quelques petits problèmes matériels. Et en raison de mon inattention
ou de ma mémoire défaillante, j’ai également perdu et oublié quelques
affaires (lunettes, pied photo, etc.).
J’étais en autonomie du point de vue du couchage et nourriture (avec
des repas lyophilisés)), pour un sac au poids et au volume optimisé
d’environ 8,5 kg sans l’eau.
Je n’ai pas croisé grand monde, surtout durant la deuxième partie. C’était peut-être dû à la canicule. Il y a des jours où j’ai cheminé sous 39-40°. Mais j’ai eu pourtant de la compagnie sans relâche, du début à la fin de mon périple par les habitantes de ces contrées, sauf sur les hauteurs : les cigales. Elles m’ont envouté par leur musique.
Comme pour l’année passée, ma démarche solidaire, avec l’association « Aventure en soliDaire », était d’attirer l’attention sur la situation des réfugiés en Syrie. En effet, à l’instar de ces huguenots qui ont risqué leur vie il y a plus de 300 ans pour vivre librement de leur foi, aujourd’hui encore des chrétiens sont poussés à l’exil en raison de leurs convictions, en particulier au Moyen-Orient. Un partenariat a été mis en place avec l’ONG Portes Ouvertes pour les soutenir. (Il est encore possible de faire un don pour acheter des packs humanitaires pour la Syrie).
La marche, avec son rythme à échelle humaine — n’est-ce pas le premier moyen de déplacement de l’homme ? – permet d’aborder les autres et découvrir les paysages d’un regard différent. Cette nouvelle expérience a été enrichissante, formatrice et revitalisante. J’ai eu quelques très courts moments difficiles. Mais je n’ai jamais eu envie d’abandonner. Dans ces instants, je me suis rappelé l’objectif de mon défi et je me suis dit que je marchais pour mon plaisir, alors que ceux que je voulais aider le font la plupart du temps dans des conditions beaucoup plus éprouvantes et souvent pour sauver leur vie. Ou comment réaliser à nouveau le privilège de vivre en paix dans notre pays.
Privilégié.
C’est ce que je réalise une fois de plus au retour de cette aventure.
Privilège de vivre dans un pays où je mange à ma faim, où je peux être
bien soigné (et la plupart du temps pour pas grand-chose),
Privilège de pouvoir vadrouiller à ma guise dans les forets et les montagnes.
Privilège de vivre librement, de croire ce que je veux, sans être surveillé.
Privilège de bénéficier de l’eau à volonté.
Privilège d’être en bonne santé pour accomplir mes rêves (cela n’a pas été toujours le cas…)
Privilège de partager ma vie avec une épouse qui me laisse partir et qui m’assiste à distance dans mes pérégrinations.
Mais on n’est jamais content, on en veut toujours plus. On oublie
parfois nos privilèges, anesthésiés par le confort quotidien qui nous
environne. Ce genre d’aventure me permet de ne pas oublier ceux qui
vivent dans des conditions difficiles. C’est bien connu, les Français
sont des râleurs et même plus : nous sommes le pays le plus pessimiste
du monde ! Et si on arrêtait de se lamenter, et si on se réjouissait de
tout ce dont nous jouissons chaque jour, de tous les petits plaisirs et
clins d’œil de la vie que le Ciel nous accorde ?
« Tous ces moments que nous donne la nature, je les ai aimés, chéris, choyés. Dans notre civilisation, on maltraite le présent, on est sans cesse tendu vers ce que l’on voudrait avoir, on ne s’émerveille plus de ce que l’on a. On se plaint de ce que l’on voudrait avoir. Drôle de mentalité ! Se contenter, ce n’est pas péjoratif. Revenir au bonheur de ce que l’on a, c’est un savoir-vivre. » Olivier de Kersauzon
1. Principalement Suisse, Allemagne et Pays Bas où les huguenots se sont exilés.
2. L’endroit où s'étaient rassemblés le 24 juillet 1702 les premiers "
attroupés " avant d'aller au Pont de Montvert libérer les prisonniers
retenus dans la maison André. C’était le début de la guerre des
camisards.